La chambre de Demangevelle

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La Chambre de Demangevelle
La Chambre de Demangevelle

La maison les attendait depuis soixante-six ans.

Claire le sentit dès qu’elle franchit le seuil de cette vieille bâtisse de Demangevelle, cette odeur de renfermé qui n’était pas seulement celle de la poussière et du temps. C’était l’haleine d’une créature patiente. Le genre qui sait attendre sa proie exactement aussi longtemps qu’il le faut.

“On est chez nous,” dit Mathieu en serrant leur bébé contre lui, un petit paquet de trois mois à peine nommé Lucas, dont les yeux bleus scrutaient déjà les recoins sombres avec une curiosité qui fit frémir Claire.

Le prix dérisoire avait été le premier appât. Quatre-vingt mille euros pour une maison de cette taille en Haute-Saône, avec un terrain de huit cents mètres carrés. “Un miracle,” avait dit l’agent immobilier, évitant soigneusement de regarder vers le fond du couloir quand il leur avait fait visiter. “Besoin de travaux, bien sûr, mais le potentiel…”

Claire sourit à son mari, mais quelque chose grinçait déjà dans sa tête, comme une porte mal huilée dans une maison qu’on croyait vide. Une intuition, peut-être. Sa grand-mère aurait appelé ça “le don”. La capacité de sentir quand quelque chose n’allait pas, quand quelque chose attendait.

Cette nuit-là, ils dormirent sur un matelas posé à même le sol du salon, le bébé entre eux. Dehors, le vent soufflait dans les arbres centenaires qui entouraient la propriété, et dans ce sifflement, Claire crut entendre des voix — des chuchotements urgents, comme une conversation tenue à l’abri des oreilles indiscrètes.


Les rénovations commencèrent le lundi suivant. Mathieu avait pris un congé de trois mois pour s’attaquer aux travaux les plus importants. Ancien maçon reconverti en informaticien, il connaissait les ficelles du métier. “On commence par abattre cette cloison,” annonça-t-il en tapotant le mur qui séparait la cuisine de ce qui semblait être un débarras. “L’agent a dit que ça n’était pas porteur.”

Claire hochait la tête, berçant Lucas qui venait de s’endormir contre sa poitrine. Elle observa son mari enfiler ses gants de travail, ajuster son masque anti-poussière. Un masque blanc, banal. Pas comme celui qui la hanterait bientôt.

Quand le mur céda sous les coups de masse de Mathieu au troisième jour de travail, ce ne fut pas de la poussière qui s’en échappa d’abord, mais un soupir. Un putain de soupir. Comme si la maison relâchait une respiration retenue depuis des décennies.

“Merde,” murmura-t-il en abaissant son masque, les yeux écarquillés devant ce qui n’aurait pas dû être là. Une pièce. Une pièce sans fenêtres que personne n’avait mentionnée sur les plans, que personne n’avait évoquée lors de la vente. Une pièce murée, condamnée délibérément.

La lumière de son téléphone révéla un espace d’environ neuf mètres carrés. Les murs étaient recouverts de symboles tracés à la craie ou peut-être au sang séché — des signes qui ressemblaient vaguement à des runes, mais tordus, déformés, comme si celui qui les avait tracés avait cherché à imiter une langue qu’aucun humain n’aurait dû connaître.

Sur le sol, des jouets d’enfant figés dans la poussière du temps. Un cheval à bascule en bois dont la peinture rouge s’écaillait comme une maladie de peau. Une poupée de chiffon aux yeux remplacés par des boutons noirs trop grands, cousus avec un fil épais qui ressemblait à des veines gonflées. Ces objets semblaient encore tièdes d’avoir été manipulés, comme si quelqu’un venait juste de les abandonner en entendant Mathieu s’approcher.

Dans un coin, une commode basse aux tiroirs entrouverts. Des vêtements de bébé pliés avec un soin maniaque attendaient un petit corps à habiller — des grenouillères, des bonnets, des chaussettes minuscules, tous ternis par les décennies mais disposés comme pour un enfant qui allait naître. Ou qui venait de mourir.

Et puis cette photo, posée sur le dessus de la commode comme une offrande ou un avertissement.

Noir et blanc, prise de nuit. Un homme debout sous un réverbère dont la lumière semblait aspirée par l’obscurité plutôt que la repousser. Il portait ce qui ressemblait d’abord à un masque, mais qui, regardé plus longtemps, paraissait être un visage — un putain de visage qui n’aurait jamais dû exister, avec des yeux trop grands, figée dans une grimace qui n’était ni un sourire ni un cri.

Dans ses bras, un nourrisson enveloppé dans des abis blancs, comme un cadeau obscène.

Au dos, une date et un mot griffonnés à l’encre rouge: 1959. Accompli.

“Il ne faut pas que Claire voie ça,” pensa Mathieu. Mais bien sûr, elle était déjà là, à côté de lui, le bébé endormi contre son épaule.

“Qu’est-ce que c’est que cette horreur?” chuchota-t-elle en fixant la photographie.


Le village ne parlait pas. Le village savait, mais préférait le silence, ce vieux complice des horreurs campagnardes. À la boulangerie, à la mairie, au café-tabac qui faisait également office de bureau de poste, les conversations s’interrompaient quand Claire ou Mathieu entraient.

“Ce doit être l’ancienne maison des Vauvert,” dit finalement la buraliste quand Mathieu lui montra une copie de la photo, soigneusement recadrée pour ne pas montrer le masque et l’enfant. “Ils sont partis il y a longtemps. Personne n’en parle plus.”

“Partis où?” insista Mathieu.

“On ne sait pas. Un jour, ils étaient là, le lendemain, la maison était vide.” Elle haussa les épaules, feignant l’indifférence, mais ses yeux trahissaient autre chose. De la peur, peut-être. Ou de la culpabilité.

À la gendarmerie, le jeune officier qui les reçut sembla mal à l’aise. “Aucun incident majeur à Demangevelle depuis des décennies,” affirma-t-il après avoir consulté les archives. “Quelques troubles mineurs, des vols sans importance… rien qui corresponde à… ce que vous décrivez.”

“Et les disparitions d’enfants?” demanda Claire, la gorge serrée.

Le silence du gendarme fut plus éloquent que n’importe quelle réponse.

Ce soir-là, Mathieu décida de creuser dans le jardin. Une intuition, dit-il à Claire. En réalité, c’était plus que ça. C’était un rêve qu’il avait fait la nuit précédente, où une voix lui murmurait: “Creuse sous le vieux chêne. Creuse jusqu’à trouver la vérité.”

À soixante centimètres de profondeur, sa pelle heurta quelque chose. Une boîte en métal, rongée par l’humidité mais encore intacte. À l’intérieur, enveloppé dans un tissu noir qui s’effrita au toucher, un masque identique à celui de la photographie.

Il semblait encore humide, comme s’il venait d’être arraché d’un visage. Mathieu le souleva avec précaution et sentit un liquide visqueux couler entre ses doigts. Pas de la boue, pas de l’eau. Quelque chose de plus épais, de plus chaud.

Sous le masque, un morceau de papier jauni et froissé portait ces mots griffonnés: Tous les soixante-six ans.

Les cauchemars commencèrent cette nuit-là. Dans leurs rêves, les murs respiraient comme des poumons malades. Dans leurs rêves, quelque chose rampait à l’intérieur des cloisons, quelque chose avec trop de doigts et pas assez d’yeux. Quelque chose qui savait leurs noms et qui avait faim — mais pas de nourriture ordinaire.

Claire se réveillait en hurlant à trois heures précises chaque matin, trempée de sueur, certaine d’avoir entendu un bébé pleurer. Mais leur petit Lucas dormait paisiblement, ignorant les ténèbres qui s’épaississaient autour de sa famille.


Ce fut deux semaines après la découverte de la pièce murée que Claire remarqua pour la première fois cet homme qui s’arrêtait devant leur maison. Soixante-trois ans environ, une canne à la main, des yeux d’un bleu délavé qui fixaient leur façade avec une intensité dérangeante.

Il venait tous les jours à la même heure, restait immobile pendant exactement cinq minutes, puis repartait en boitant légèrement. Comme un rituel. Comme une prière silencieuse.

“Qui est cet homme?” demanda Claire à la voisine d’en face, une vieille femme revêche qui passait ses journées derrière ses rideaux à surveiller la rue.

“Marcel Vauvert,” répondit-elle, le nom à peine audible, comme si le prononcer risquait d’invoquer quelque présence maléfique. “Il vivait dans votre maison. Quand il était petit.”

Un frisson parcourut l’échine de Claire. Vauvert. Le même nom que les anciens propriétaires.

Le lendemain, elle attendit Marcel au coin de la rue et l’aborda directement.

“Bonjour, je suis Claire. La nouvelle propriétaire de…”

“Je sais qui vous êtes,” l’interrompit-il. Sa voix était plus douce qu’elle ne l’aurait imaginé, presque mélodieuse. “La maison vous a choisis.”

“Que voulez-vous dire ?” demanda Claire, troublée par ces mots qui faisaient écho à ses propres craintes.

Marcel soupira, puis jeta un regard autour de lui comme pour s’assurer que personne ne les écoutait.

“Cette maison n’est pas comme les autres. Elle a… des besoins.”

Claire sentit son cœur s’accélérer. Elle sortit de sa poche une copie de la photographie trouvée dans la pièce murée et la tendit à Marcel.

“Connaissez-vous cette photo ?”

Il la prit et ses mains se mirent à trembler violemment. “Ce n’est pas un masque,” dit-il finalement, sa voix à peine plus forte qu’un murmure. “C’est un capuchon rituel.”

Ses yeux étaient devenus vitreux, comme s’il regardait à travers Claire, vers un passé que lui seul pouvait voir.

“Dans le temps, les gens ici disaient que tous les soixante-six ans, en juin, une personne devait être choisie pour préserver le village. Pour contenir ce qui vit sous nos pieds.”

Sa voix tremblait comme une feuille morte accrochée à sa branche en novembre, prête à tomber au moindre souffle de vent.

“Qui est cet enfant sur la photo ?” insista Claire.

Mais Marcel ne répondit pas. Il lui rendit la photo et commença à s’éloigner. Claire le retint par le bras.

“S’il vous plaît, j’ai besoin de savoir. Pour protéger ma famille.”

Marcel s’arrêta mais ne se retourna pas.

“Savez-vous pourquoi cette maison est restée si longtemps invendue ?” demanda-t-il par-dessus son épaule. “Parce que seuls les élus peuvent l’acquérir. La maison vous a choisis.”

Puis il s’éloigna, et on ne retient pas un homme qui a porté le poids d’un secret pendant soixante-trois ans.


Cette nuit-là, à trois heures du matin, Claire entendit un bébé pleurer.

Il ne s’agissait pas des pleurs habituels de Lucas — des cris affamés ou inconfortables qu’elle reconnaissait instinctivement. C’étaient des sanglots déchirants, empreints d’une douleur et d’une terreur adultes.

Elle se précipita dans la chambre de son fils. Lucas dormait paisiblement, ses petites mains potelées de chaque côté de son visage, sa respiration régulière et tranquille.

Les pleurs continuaient pourtant. Ils semblaient venir de partout et de nulle part à la fois — des murs, du plafond, du sol sous ses pieds.

Claire retourna se coucher, tremblante, incapable de réveiller Mathieu qui dormait d’un sommeil de plomb, comme drogué. Le lendemain matin, il ne se souvenait de rien.


Les jours qui suivirent furent peuplés d’incidents que Claire ne pouvait plus ignorer. Les objets se déplaçaient quand personne ne regardait. Des empreintes de pas minuscules apparaissaient dans la poussière des pièces inoccupées. La température chutait brusquement dans certaines zones de la maison, surtout près de la pièce murée.

Et puis il y eut ce journal.

Claire le trouva un après-midi, alors qu’elle examinait de nouveau la pièce secrète, poussée par une curiosité morbide qu’elle ne s’expliquait pas. Il était coincé dans une fissure du mur, comme si les pierres l’avaient lentement expulsé après l’avoir digéré pendant des décennies.

Un petit carnet relié en cuir, ses pages jaunies couvertes d’une écriture serrée, nerveuse. Celle d’une femme prénommée Louise Vauvert.

3 mai 1959. Marcel a fait ses premiers pas aujourd’hui. Son père dit qu’il est trop jeune, qu’à neuf mois les enfants ne marchent pas encore. Mais Marcel n’est pas comme les autres enfants. Il a toujours été précoce. Trop précoce, peut-être.

17 mai 1959. Ils sont venus me voir aujourd’hui. Les Anciens. Ils m’ont parlé du Pacte, de l’Échéance qui approche. J’ai refusé de les écouter. Ils ont dit que je n’avais pas le choix, que la maison m’avait choisie.

2 juin 1959. Je comprends maintenant ce qu’ils veulent de moi. Ce qu’IL veut de moi. Ce qui vit sous le village, ce qui se nourrit de notre peur et de notre sang depuis des siècles. Je devrais fuir avec Marcel, mais quelque chose me retient. Une voix dans ma tête, qui me dit que je ne peux pas échapper à mon destin.

Et puis, la dernière entrée, datée du 10 juin 1959:

Je deviens le réceptacle, pour que mon fils soit épargné. Pour que Demangevelle continue d’exister, pour que ce qui dort sous nos pieds reste endormi. Un sacrifice tous les soixante-six ans. Une mère. Un enfant qui grandit sans sa mère, mais qui vit. Qui vit libre.

J’ai peur de ce qui va suivre, de la douleur, de l’obscurité. Mais j’ai plus peur encore pour Marcel si je refuse. Alors je me soumets. Que Dieu ait pitié de mon âme, car les murs n’en auront aucune.

Claire laissa tomber le journal, les mains tremblantes. La date concordait avec celle inscrite au dos de la photo. 1959. Accompli.

Une nuit, deux semaines après cette découverte, Claire se réveilla en sursaut. Quelque chose l’avait tirée du sommeil — un bruit, peut-être, ou cette sensation glaciale qui parcourait sa colonne vertébrale quand elle sentait une présence.

Elle se leva et se dirigea vers la pièce murée, attirée par une force qu’elle ne comprenait pas. Le mur du fond, celui qui n’avait jamais montré le moindre signe de faiblesse, s’était fissuré. Une longue lézarde serpentait du sol au plafond, assez large pour qu’elle puisse y glisser sa main.

Ce qu’elle fit, guidée par une impulsion irrésistible.

Ses doigts rencontrèrent d’abord le vide, puis quelque chose de dur et froid. Des ossements. Des ossements humains.

Elle retira sa main avec un cri étouffé, mais pas avant d’avoir senti autre chose — un objet métallique accroché à ce qui devait être les restes d’une chaîne autour d’un cou depuis longtemps réduit à l’état de squelette.

Le lendemain, quand Marcel fit sa pause habituelle devant la maison, Claire remarqua pour la première fois le médaillon qu’il portait. Identique à celui qu’elle avait touché dans le mur.

Les pièces s’assemblèrent dans son esprit avec un claquement sec, comme un piège qui se referme sur sa proie.


Comprenant soudain l’horrible vérité, Mathieu décida de confronter Marcel, mais l’homme semblait s’être volatilisé. Pendant plusieurs jours, il ne fit pas sa pause habituelle devant leur maison.

Mathieu mena son enquête auprès des habitants du village, récoltant des bribes d’informations à travers leur réticence. Il finit par trouver l’adresse de Marcel, une petite maison isolée à la sortie du village.

Ce fut Claire qui s’y rendit, poussée par cette même intuition — ce même don — qui l’avait mise en garde dès le premier jour.

Marcel l’attendait, assis dans un fauteuil qui faisait face à la porte, comme s’il avait su qu’elle viendrait.

“J’imagine que vous avez compris,” dit-il sans préambule.

“C’est vous, n’est-ce pas?” murmura Claire. “L’enfant sur la photo.”

Marcel hocha lentement la tête. “Ma mère a été emmurée vivante en 1959. Pour focaliser sur elle une force maléfique ancestrale qui, autrement, aurait dévoré le village entier. Pour me libérer de la malédiction qui pesait sur moi depuis ma naissance.”

Il se leva et s’approcha de Claire, ses yeux reflétant des flammes invisibles, la lueur d’une folie — ou d’une lucidité — qui transcendait l’entendement humain.

“L’échéance approche,” dit-il en fixant Claire. “Soixante-six ans se sont écoulés. La maison a choisi votre famille. Un choix doit être fait maintenant.”


De retour chez elle, Claire ressent une présence oppressante qui semble émaner des murs mêmes de la maison. Des voix chuchotent dans l’obscurité — les mêmes que celles qu’elle avait cru entendre dans le vent le jour de leur arrivée.

Son bébé se met à pleurer sans raison, refusant d’être consolé, ses petits poings serrés comme s’il luttait contre une terreur invisible.

La nuit vient, lourde de présages. Mathieu, épuisé par sa journée de recherches infructueuses, décide d’aller se coucher. Claire le rejoint après avoir finalement réussi à endormir Lucas dans la chambre d’à côté.

Claire essaie de lire pour se distraire, mais les mots dansent sur la page, formant des phrases qu’elle n’a pas écrites: Le temps est venu. Le cycle doit se perpétuer.

Sans avertissement, les plombs sautent. La maison est plongée dans une obscurité totale et pesante, comme si la nuit elle-même s’était infiltrée entre les murs.

Claire réveille Mathieu en sursaut lorsqu’elle entend des bruits provenant du rez-de-chaussée. Des craquements de plancher, d’abord espacés puis plus rapprochés, comme des pas qui s’approchent. Et puis ces chuchotements, ces voix multiples qui parlent toutes en même temps dans une langue que personne ne devrait comprendre.

“Quelqu’un est dans la maison,” murmure Mathieu, la voix tendue par l’angoisse.

Ils se lèvent, guidés par la faible lueur de leurs téléphones qui projettent des ombres déformées sur les murs. Ces murs qui semblent pulser comme une veine gonflée, qui semblent respirer au rythme d’un cœur monstrueux.

Dans le séjour, illuminé par un rayon de lune qui perce à travers les rideaux, un message est posé sur la table basse. Les mots brillent comme s’ils avaient été écrits avec du phosphore:

Une mère pour sauver l’enfant. Un mur pour contenir la force.

Puis d’autres bruits se font entendre sous leurs pieds, provenant du sous-sol. Des chants à peine audibles, le tintement d’objets métalliques, comme un rituel en préparation.

La porte du sous-sol, habituellement fermée à clé — Claire en est certaine, elle vérifie trois fois chaque soir — est grande ouverte, vomissant une lueur jaunâtre qui n’aurait pas dû exister dans une maison privée d’électricité.

L’instinct maternel de Claire lui hurle de remonter voir son bébé, de s’assurer qu’il va bien, de le prendre et de fuir cette maison maudite. Mais Mathieu, comme hypnotisé, la prend par le bras et l’entraîne vers les escaliers qui descendent.

La porte claque derrière eux avec la finalité d’un cercueil qu’on referme, les enfermant dans cet espace souterrain qu’ils n’ont presque jamais exploré depuis leur arrivée.

En bas des marches, une scène cauchemardesque les attend.

Marcel se tient immobile au centre d’un cercle tracé à la craie sur le sol en terre battue. Il porte le masque rituel — non, pas un masque, réalise Claire avec horreur. Un visage par-dessus son visage, comme une seconde peau qui aurait fusionné avec la première.

Autour de lui, une douzaine de silhouettes masquées attendent en silence, leurs respirations synchronisées comme un seul organisme. Des habitants du village, sans doute, mais impossibles à identifier derrière ces visages qui ne sont pas des masques.

Au centre du cercle, contre le mur du fond, un espace a été fraîchement creusé. Un espace de la taille exacte d’un corps humain. D’un corps de femme.

À côté, le berceau de leur bébé, transporté depuis l’étage sans qu’ils ne s’en aperçoivent. Lucas est réveillé, ses yeux grands ouverts fixés sur le plafond, mais étrangement silencieux.

“L’heure est venue,” annonce Marcel d’une voix qui n’est plus la sienne, mais celle de tous ceux qui ont porté le masque avant lui, celle de toutes les mères sacrifiées au fil des siècles. “Le cycle doit se perpétuer.”

Et c’est à ce moment précis que Claire comprend que la maison ne les a pas choisis, tous les trois.

Elle a choisi la mère.

Elle a choisi Claire.

Texte issu des légendes de Calahaan

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