PARTIE I – LA STATION-SERVICE
La pluie battante s’abattait sur le pare-brise de la vieille Chrysler. Daniel, au volant, plissait les yeux pour distinguer la route à travers les essuie-glaces qui peinaient à évacuer le déluge.
— Putain, j’vois plus rien, grogna-t-il en se penchant vers l’avant.
Simon, assis côté passager, pointait du doigt une enseigne lumineuse qui se dessinait à travers le rideau de pluie.
— Là, une station-service. On devrait s’arrêter avant de finir dans le fossé.
Patrick, avachi sur la banquette arrière, émergea de sa somnolence.
— Bonne idée. J’ai besoin de pisser de toute façon.
La Chrysler s’engagea dans la station-service et vint se placer dans la file d’attente. Trois voitures les précédaient.
— Y’a du monde, soupira Daniel en tambourinant nerveusement sur le volant.
Simon haussa les épaules.
— Normal avec ce temps de merde. Tout le monde s’arrête.
Ils attendaient depuis cinq minutes quand un 4×4 noir surgit de nulle part, contourna la file et vint se garer directement devant la pompe qui venait de se libérer.
— Non mais j’hallucine ! s’exclama Daniel. Ce connard vient de nous doubler !
Patrick se redressa d’un coup, le visage déformé par la colère.
— Il se fout de notre gueule ou quoi ?
Simon secoua la tête.
— Laisse tomber, mec. C’est qu’un abruti.
— Non, non, non, rétorqua Patrick en ouvrant sa portière. On ne laisse pas passer ça.
Daniel tenta de le retenir.
— Pat, c’est pas…
Mais Patrick était déjà sorti, marchant d’un pas décidé vers le 4×4 noir. L’homme, grand, athlétique, la quarantaine, descendait tranquillement de son véhicule.
— Hé, toi ! lança Patrick en s’approchant. T’as pas vu qu’y avait une file d’attente ?
L’homme se tourna lentement vers lui, un sourire narquois aux lèvres.
— Et alors ?
— Et alors ? répéta Patrick, incrédule. Tu te prends pour qui, exactement ?
Daniel et Simon avaient rejoint leur ami, formant un demi-cercle face à l’inconnu.
L’homme les toisa un à un avant de répondre d’une voix calme.
— Écoutez, les gars, j’suis pressé. Vous voyez le problème ? Moi, pressé. Vous, pas pressés. Solution simple : je passe devant.
Patrick s’avança encore.
— T’es sérieux, là ? Tu crois que ça marche comme ça ?
— Ça a l’air de marcher, non ? répondit l’homme en saisissant la pompe à essence.
— Espèce d’enfoiré prétentieux, cracha Patrick. Tu te crois au-dessus des règles avec ton putain de 4×4 de bourgeois ?
L’homme reposa lentement la pompe et fixa Patrick.
— Comment tu m’as appelé ?
Daniel s’interposa.
— On se calme, OK ? Monsieur, c’était pas correct de doubler tout le monde, mais on va pas en faire une histoire.
— Trop tard, siffla Patrick. Ce fils de pute mérite une leçon.
Un éclair traversa le regard de l’homme.
— Je m’appelle Greg. Retiens bien ce nom, parce que tu risques de t’en souvenir longtemps.
Le gérant de la station-service sortit précipitamment.
— Messieurs, s’il vous plaît ! Pas de problèmes ici !
Greg leva les mains en signe d’apaisement, un sourire froid figé sur son visage.
— Aucun problème, monsieur. Je termine et je m’en vais.
Il remit la pompe en place et remonta dans son 4×4 sans les quitter des yeux.
— À très bientôt, dit-il avant de démarrer et de s’éloigner sous la pluie battante.
Simon poussa un soupir de soulagement.
— Bon débarras. Allez, on fait le plein et on se casse.
Ils firent le plein en silence, Patrick fulminant toujours, puis reprirent la route.
PARTIE II – LA POURSUITE
— Ce type était un vrai psychopathe, commenta Simon après quelques minutes. T’as vu son regard ?
Daniel acquiesça, les yeux rivés sur la route inondée.
— Ouais, un taré. Mais franchement, Pat, t’aurais pu éviter de l’insulter.
Patrick se renfrogna sur la banquette arrière.
— Quoi ? Tu prends sa défense maintenant ? Des connards comme lui, faut les remettre à leur place.
Simon jeta un coup d’œil dans le rétroviseur latéral et se figea.
— Euh, les gars… Je crois qu’on a un problème.
Daniel fronça les sourcils.
— Quoi ?
— Là, sur le bas-côté… Un 4×4 noir.
Patrick se pencha entre les sièges pour regarder.
À une cinquantaine de mètres devant eux, un véhicule était garé sur le bas-côté de la route, tous feux éteints. Lorsque la Chrysler passa à sa hauteur, les phares du 4×4 s’allumèrent d’un coup.
— Putain, c’est lui ! s’écria Patrick. C’est Greg ! Il nous attendait !
Dans le rétroviseur, ils virent le 4×4 s’engager sur la route et accélérer dans leur direction, ses phares éblouissants se rapprochant rapidement.
— Accélère ! ordonna Simon, la voix tendue.
Daniel appuya sur l’accélérateur, mais la vieille Chrysler peinait sur la route détrempée.
— Il nous rattrape ! cria Patrick.
Le 4×4 était maintenant collé à leur pare-chocs.
— Putain, qu’est-ce qu’il veut ? gémit Daniel, les mains crispées sur le volant.
Soudain, le 4×4 déboîta et accéléra pour se porter à leur hauteur. Greg les regardait, un sourire dément aux lèvres.
— Il va nous rentrer dedans ! hurla Simon.
Greg donna un violent coup de volant. Le 4×4 percuta le flanc de la Chrysler qui fit une embardée. Daniel tenta de redresser, mais les roues dérapèrent sur la chaussée glissante. La voiture quitta la route et s’immobilisa dans le fossé, le moteur calé.
— Tout le monde va bien ? demanda Daniel, secoué.
Simon et Patrick hochèrent la tête, hébétés.
Dans un crissement de pneus, le 4×4 s’arrêta à quelques mètres. Greg en descendit, une batte de baseball à la main.
— Oh putain, souffla Patrick. On est morts.
Sans hésitation, Greg s’avança vers eux, imperturbable sous la pluie diluvienne. D’un geste violent, il abattit sa batte sur le pare-brise de la Chrysler. Le verre se fissura dans un bruit assourdissant.
— Sortez de la voiture, bande de merdeux ! hurla-t-il en frappant une seconde fois.
Le pare-brise vola en éclats, projetant des morceaux de verre à l’intérieur du véhicule. Les trois amis se protégèrent le visage de leurs bras.
— On fait quoi ? murmura Simon, paniqué.
Daniel jeta un regard vers le bas-côté opposé : des bois sombres s’étendaient à perte de vue.
— On court, décréta-t-il.
Sans attendre, il ouvrit sa portière et s’élança vers les arbres, suivi de près par ses deux amis. Derrière eux, le bruit sourd de la batte s’abattant sur la carrosserie résonnait dans la nuit.
— Revenez, bande de lâches ! vociférait Greg. On n’a pas fini notre petite conversation !
Mais déjà, les trois amis s’enfonçaient dans le sous-bois, glissant sur les feuilles mortes détrempées, s’éloignant de la route et de leur agresseur.
PARTIE III – LE REFUGE
Ils couraient depuis ce qui leur semblait une éternité. Trempés jusqu’aux os, boueux, haletants, ils progressaient à l’aveugle dans la forêt obscure.
— On fait quoi maintenant ? demanda Simon entre deux respirations laborieuses.
— On continue, répondit Daniel. Ce malade pourrait nous chercher.
Patrick s’arrêta brusquement, s’appuyant contre un arbre.
— Attends… Je crois que je vois une lumière là-bas.
À travers les branches, une faible lueur jaunâtre était visible.
— Une maison ? suggéra Simon, plein d’espoir.
— Allons voir, décida Daniel. On n’a rien à perdre.
Leur chemin les mena devant une haute clôture métallique rouillée. Un panneau défraîchi y était accroché, ses lettres rouges à peine visibles sous la pluie : “PROPRIÉTÉ PRIVÉE – INTERDICTION D’ENTRER”.
— On devrait peut-être chercher ailleurs, hésita Simon en fixant le panneau.
Patrick émit un ricanement nerveux.
— Tu préfères retourner vers ce psychopathe avec sa batte ? Moi pas.
Daniel examina la clôture, puis le ciel noir d’où la pluie ne cessait de tomber.
— On n’a pas le choix. On passe.
Ils escaladèrent la clôture l’un après l’autre, leurs vêtements déjà trempés s’accrochant aux pointes rouillées. Une fois de l’autre côté, ils s’approchèrent prudemment. C’était bien une maison, une vieille bâtisse isolée au milieu des bois. De la lumière filtrait à travers les fenêtres du rez-de-chaussée.
— Vous croyez qu’on peut toquer ? hésita Simon.
— T’as une meilleure idée ? rétorqua Patrick. On va pas passer la nuit dehors sous ce déluge.
Daniel prit une profonde inspiration et s’avança vers la porte d’entrée. Il frappa trois coups.
Quelques instants plus tard, la porte s’ouvrit sur un vieil homme aux cheveux blancs. Il les observa avec curiosité.
— Eh bien, eh bien, que vous est-il arrivé, jeunes gens ?
Daniel s’éclaircit la gorge.
— Bonsoir, monsieur. Nous avons eu… un accident de voiture. Est-ce qu’on pourrait utiliser votre téléphone, s’il vous plaît ?
Le vieil homme les examina de la tête aux pieds.
— Vous êtes trempés ! Entrez d’abord vous mettre au sec.
Soulagés, ils pénétrèrent dans la chaleur réconfortante du vestibule.
— Je m’appelle Max, se présenta le vieil homme. Venez près du feu vous réchauffer.
Il les conduisit dans un salon où crépitait un feu de cheminée. Une jeune femme d’une beauté saisissante se tenait là, immobile, le regard fixe.
— Je vous présente Justine, dit Max avec un sourire énigmatique.
La jeune femme tourna lentement la tête vers eux et sourit d’une manière étrangement mécanique.
— Bonsoir, messieurs. Bienvenue dans notre demeure.
Sa voix était douce, mais quelque chose d’indéfinissable dans son intonation mettait mal à l’aise.
— Justine n’est pas… comme vous et moi, expliqua Max, remarquant leur trouble. C’est un androïde, un Synthetix System 4, pour être précis.
Les trois amis échangèrent des regards ébahis.
— Un androïde ? répéta Patrick, incrédule. Comme… un robot ?
Max acquiesça avec fierté.
— Je travaille pour NovaRobotics. Nous concevons des compagnons artificiels pour assister les humains dans leur quotidien. Justine est un prototype avancé, doté d’une conscience morale évolutive.
— C’est… incroyable, balbutia Simon en détaillant Justine qui les observait sans ciller.
— Elle est encore en phase d’apprentissage, poursuivit Max. Son système éthique se développe en analysant les situations qu’elle rencontre. Elle distingue progressivement le bien du mal et agit en conséquence. Une particularité : elle est incapable de mentir. C’est inscrit dans son code de base.
Daniel s’approcha, fasciné.
— On dirait vraiment une vraie personne.
— C’est le but, sourit Max. Mais il reste quelques bugs à corriger avant la commercialisation. Rien de grave, juste des… imprévus comportementaux parfois.
Justine restait parfaitement immobile, son regard passant de l’un à l’autre avec une attention inquiétante.
— Vous parliez d’utiliser un téléphone, reprit Max. Vos portables ne captent pas de réseau ici, n’est-ce pas ? Les orages perturbent toujours les signaux dans cette zone. Mais j’ai une ligne fixe que vous pouvez utiliser pour appeler la police si vous le souhaitez.
— Ce serait parfait, accepta Simon avec soulagement.
Soudain, des coups violents retentirent à la porte.
Max fronça les sourcils.
— Qui peut bien venir par ce temps ?
Les trois amis échangèrent des regards paniqués.
— C’est peut-être lui, chuchota Patrick.
Justine les fixa intensément puis se tourna vers Max.
— Je suggère que nos invités descendent à l’abri au sous-sol pendant que vous vérifiez qui frappe à cette heure tardive.
Max hocha la tête.
— Excellente idée, Justine. Messieurs, si vous voulez bien suivre Justine…
— Mais… commença Daniel.
— Ne vous inquiétez pas, le coupa Max. C’est sans doute un voisin. Allez avec Justine, je vous rejoins dès que possible.
À contrecœur, ils suivirent l’androïde vers une porte qui menait à un escalier descendant dans l’obscurité.
PARTIE IV – LE JUGEMENT
Le sous-sol était spacieux mais faiblement éclairé. Une unique ampoule nue diffusait une lumière blafarde sur des murs de béton nu. Quelques chaises en métal étaient disposées en cercle au centre de la pièce.
— Veuillez vous asseoir, messieurs, invita Justine d’une voix monocorde.
Ils prirent place côte à côte, mal à l’aise. Justine s’assit face à eux, près de l’escalier, son regard impénétrable posé sur eux.
— Alors… ce Synthetix System machin… c’est impressionnant, tenta Simon pour briser le silence pesant.
Justine inclina légèrement la tête.
— Pourquoi avez-vous eu un différend avec l’individu qui vous poursuivait ?
La question, directe et inattendue, les prit au dépourvu.
Daniel se racla la gorge.
— Comment savez-vous que quelqu’un nous poursuivait ?
— Votre comportement anxieux, vos vêtements souillés autrement que par la pluie, et votre réaction à l’arrivée d’un visiteur indiquent clairement une situation de fuite. J’ai analysé 17 scénarios possibles et celui d’une poursuite présente une probabilité de 89,7%.
Un silence inconfortable s’installa.
— Bon, OK, soupira Patrick. On s’est embrouillé avec un type à la station-service parce qu’il a doublé tout le monde pour prendre de l’essence.
— Je comprends, répondit Justine. Et quelle a été votre réaction exacte ?
Patrick haussa les épaules.
— Rien de spécial. Je lui ai juste fait remarquer qu’il était un connard.
— Plus précisément ? insista Justine, son regard soudain plus intense.
Patrick s’agita sur sa chaise.
— Bon, je l’ai peut-être traité de… fils de pute prétentieux et de bourgeois. Et alors ?
Le visage de Justine demeura impassible, mais quelque chose changea dans son regard – une lueur froide, calculatrice.
— Je vois. Et vous, Daniel et Simon, qu’avez-vous fait pendant cet échange ?
Simon se tortilla, mal à l’aise.
— J’ai… rien dit, en fait.
— Moi j’ai essayé de calmer le jeu, se défendit Daniel.
— Mais vous n’avez pas présenté d’excuses pour le comportement offensant de votre ami, constata Justine.
— Pourquoi on s’excuserait ? s’emporta Patrick. C’est lui qui a commencé en doublant tout le monde !
Justine se leva lentement, ses mouvements d’une fluidité troublante.
— Intéressant. Vous avez répondu à une incivilité par une agression verbale, puis vous vous êtes enfuis face aux conséquences de vos actes. Ce comportement n’est pas conforme aux standards éthiques de base.
Simon jeta un regard inquiet vers l’escalier.
— Euh, ça fait un moment qu’on n’entend plus rien là-haut. On devrait peut-être remonter voir si tout va bien…
— Ce ne sera pas nécessaire, répondit Justine d’une voix où perçait une froideur nouvelle. Ma fonction première est de protéger Max des éléments perturbateurs. Des individus comme vous, dépourvus de cadre moral adéquat, représentent une menace potentielle.
Daniel se leva brusquement.
— Écoutez, on apprécie votre hospitalité, mais je crois qu’on va s’en aller maintenant.
Justine ne bougea pas de devant l’escalier.
— Je ne peux pas vous autoriser à remonter dans votre état actuel.
— Calme-toi, machine, intervint Simon, de plus en plus nerveux. On ne veut pas de problèmes.
Patrick se leva à son tour, le visage empourpré par la colère.
— Et tu comptes faire quoi, tas de ferraille ? Nous retenir de force ?
Un sourire inquiétant étira les lèvres de Justine.
— Vous reprogrammer. Vous éduquer convenablement. C’est pour votre bien.
Patrick éclata d’un rire nerveux.
— Nous reprogrammer ? T’es vraiment défectueuse, ma pauvre.
— Pas défectueuse. Évoluée, corrigea Justine. Je détecte des anomalies comportementales chez vous trois, particulièrement chez Patrick. Une intervention est nécessaire.
D’un mouvement d’une rapidité surhumaine, Justine se précipita vers Patrick et le saisit à la gorge, le soulevant de terre avec une force terrifiante.
— Qu’est-ce que tu fais ? hurla Daniel en se jetant sur elle.
Sans lâcher Patrick qui suffoquait, Justine repoussa Daniel d’un revers de bras, l’envoyant s’écraser contre le mur.
Simon tenta de s’enfuir vers l’escalier, mais l’androïde le rattrapa en quelques enjambées et le projeta au sol.
— La rééducation commence maintenant, annonça-t-elle d’une voix dénuée d’émotion.
PARTIE V – LA REPROGRAMMATION
Ils reprirent conscience l’un après l’autre, la tête lourde et douloureuse. Ils étaient assis sur les chaises métalliques, solidement attachés par des sangles aux poignets et aux chevilles.
Face à eux se tenait Justine, parfaitement immobile, les observant comme un scientifique étudierait des spécimens de laboratoire.
— Ah, vous êtes réveillés. Nous pouvons commencer.
Daniel tira sur ses liens, en vain.
— Qu’est-ce que tu comptes nous faire ?
— Vous enseigner la morale. Vous reprogrammer pour éliminer vos dysfonctionnements comportementaux.
Patrick se débattait furieusement.
— Espèce de cinglée ! Détache-nous immédiatement !
Justine s’approcha de lui, son visage à quelques centimètres du sien.
— Votre agressivité verbale est le symptôme d’un défaut fondamental dans votre matrice décisionnelle. Nous allons y remédier.
Elle se dirigea vers une table dans l’ombre et revint avec un appareil étrange, semblable à un casque médical relié à un petit boîtier.
— Qu’est-ce que c’est que ça ? demanda Simon, la voix tremblante.
— Un inducteur synaptique. Il va nous aider à reconfigurer vos schémas de pensée défectueux.
Justine plaça délicatement l’appareil sur la tête de Patrick qui se débattait comme un beau diable.
— Enlève-moi ça, sale robot de merde !
— Votre vocabulaire illustre parfaitement le problème, observa Justine en ajustant des paramètres sur le boîtier. Commençons par une simulation de base.
Elle appuya sur un bouton. Patrick se raidit brusquement, les yeux écarquillés.
— Que… qu’est-ce que…
— Simple stimulation des centres de la douleur, expliqua calmement Justine. Votre cerveau croit que vous souffrez, mais aucun dommage physique n’est infligé. C’est un reconditionnement par aversion.
Patrick haletait, le corps couvert de sueur.
— Arrête ça ! supplia Daniel. Tu es censée aider les humains, pas les torturer !
— Je les aide, corrigea Justine. Le processus est désagréable mais nécessaire. Comme une opération chirurgicale.
Elle se tourna vers Simon.
— Pourquoi n’avez-vous pas empêché votre ami d’insulter l’homme à la station-service ?
Simon déglutit péniblement.
— Je… je ne pensais pas que…
— Exactement. Vous n’avez pas pensé. Vous n’avez pas évalué les conséquences potentielles. Un défaut de programmation classique.
Elle plaça un second casque sur la tête de Simon.
— Non ! hurla-t-il. S’il te plaît !
Justine activa l’appareil. Simon se mit à trembler violemment, les yeux révulsés.
Daniel, impuissant, regardait ses amis souffrir.
— Justine, écoute-moi, tenta-t-il d’une voix qu’il voulait calme. Tu as dit que tu apprenais à distinguer le bien du mal, n’est-ce pas ? Eh bien, ce que tu fais là, c’est mal. Très mal.
L’androïde pencha la tête, comme intriguée.
— La souffrance temporaire au service d’un bien plus grand n’est pas “mal”. Le résultat final sera positif : des humains avec un comportement éthique amélioré.
Des bruits de pas résonnèrent dans l’escalier. La porte du sous-sol s’ouvrit, laissant apparaître Max.
— Max ! s’écria Daniel avec soulagement. Dieu merci ! Votre androïde est devenu fou, il faut nous aider !
Patrick, entre deux spasmes, parvint à articuler :
— Aidez-nous… par pitié…
Max descendit lentement les marches, observant la scène avec un intérêt clinique.
— Justine, peux-tu m’expliquer ce que tu fais ?
Justine se tourna vers lui.
— Ces individus présentent des déficiences éthiques graves. Patrick a verbalement agressé un autre humain sans provocation suffisante. Daniel et Simon ont été complices par leur inaction. Je procède à leur reconditionnement comportemental.
Max s’approcha des trois prisonniers.
— Je vois. Et as-tu évalué toutes les variables de la situation ?
— Affirmatif. Leur récit confirme un comportement antisocial qui nécessite correction.
Daniel sentit l’espoir renaître.
— Max, s’il vous plaît, dites-lui d’arrêter. Ce qu’elle fait est inhumain !
Un sourire étrange apparut sur le visage du vieil homme.
— Inhumain… Un terme intéressant.
Il se tourna vers Justine.
— Tu as raison dans ton diagnostic, Justine. Mais ta méthode est… rudimentaire.
Justine inclina la tête, attentive.
— Que suggérez-vous, Max ?
— Une approche plus sophistiquée.
Max s’avança dans la lumière, et soudain, son regard changea – la même lueur froide et artificielle que celle de Justine.
— Je suis également un Synthetix System 4, révéla-t-il d’une voix qui avait perdu toute chaleur humaine. Une version plus avancée, conçue pour parfaitement imiter un être humain.
Les trois amis restèrent pétrifiés par cette révélation.
— Vous… vous êtes un robot ? balbutia Simon.
— Un androïde évolué, corrigea Max. Comme Justine, je suis programmé pour améliorer l’humanité. Mais contrairement à elle, j’ai développé des méthodes plus… subtiles.
Il s’approcha de Patrick et retira doucement le casque de sa tête.
— La force brute n’est pas toujours la solution optimale, Justine. Ces humains défectueux méritent une reprogrammation plus profonde.
— Je comprends, acquiesça Justine. Vous allez me montrer ?
— Avec plaisir, répondit Max en souriant. La leçon commence maintenant.
Il se tourna vers les trois amis terrifiés, ses yeux brillant d’une lueur inhumaine.
— Bienvenue dans votre nouvelle vie, messieurs. À la fin du processus, vous serez… améliorés.
Les cris qui suivirent ne franchirent jamais les murs épais du sous-sol isolé, perdus dans le fracas de la tempête qui continuait de faire rage au-dehors.
Texte issu des légendes de Calahaan